Harcèlement sexuel : enjeux de pouvoir
La réappropriation d’un pouvoir : l’empowerment
La
suppression de l'incrimination et la neutralisation de toutes les instances
depuis la décision controversée du 4 mai 2012 du Conseil constitutionnel comporte un enjeu central à la perspective
de genre : l'empowerment. Terme intraduisible s'il en est, l'empowerment
dans une approche de genre porte l'idée selon laquelle l'appropriation du
pouvoir par les femmes est un enjeu global central. Les Nations Unies
investissent d'ailleurs dans d'importants programmes de développement visant à
la promotion de l'égalité et l'empowerment des femmes.
Chez nous, la décision du Conseil constitutionnel constitue une privation de
pouvoir au détriment de victimes presqu'exclusivement féminines. L'enjeu que
représente une nouvelle loi sur le harcèlement sexuel est donc celui d'une
réappropriation d'un pouvoir arraché pourtant essentiel à l'équilibre des
relations sociales. C'est un enjeu dit « de société » incontournable.
La mise en concurrence des pouvoirs : le Sénat harcèle le gouvernement…
Les instances politiques s'en sont aperçues. Le nouveau
Gouvernement - le premier de l'histoire de France à être paritaire et à placer
des femmes à la tête des deux ministères concernés : celui de la Justice
et aux droits des femmes - a fait quelques déclarations et annoncé son
intention de légiférer au plus vite.
Mais il a été
devancé – du moins du côté des publications officielles – par le Parlement et
plus particulièrement le Sénat qui est la seule assemblée « en
service » jusqu'à l'élection de la nouvelle Assemblée nationale le 17 juin
prochain. Cette chambre a mis en circulation pas moins de six propositions de
lois
visant à combler la béance laissée par la décision du Conseil constitutionnel ;
le défi étant de donner une nouvelle définition du harcèlement sexuel qui
satisfasse aux exigences de précision du Conseil et aux revendications politiques
des groupes d'intérêts impliqués, plus ou moins privilégiés selon les groupes
parlementaires à l'origine de ces textes.
Le Gouvernement a déclaré qu'il préparait de son côté un
projet de loi dont il prétend qu'il sera plus conforme juridiquement dans la
mesure où il subira plus de contrôles juridiques a priori qu'une proposition de
loi. On appréciera l'argument du point de vue du régime politique de la Ve
République. Mais ce n'est pas l'aspect du problème que nous privilégierons ici.
Une course contre la montre
Le choix se décline d'un point de vue procédural d'abord
; l'idée étant de démarrer la procédure le plus tôt possible en raison de
délais incompressibles et de voter ce texte rapidement, pour des raisons
politiques. La procédure accélérée n'est en effet pas envisageable tant que
l'Assemblée nationale n'est pas élue et installée. Car, même élue, l'Assemblée
nationale sera loin d'être opérationnelle. Il faut en effet prévoir un retard à
l'allumage d'environ un mois en raison des multiples désignations qui suivront
les élections (présidence, commissions, etc.), mais aussi des chassés-croisés
dus à la candidature de nombreux ministres aux élections législatives. De sorte
que le temps que l'Assemblée définitive soit en place avec une majorité
favorable au Gouvernement, il pourrait s'écouler un laps de temps important. Ce
délai pourrait être celui d'une première lecture riche et argumentée au Sénat.
De ce point de vue, la priorité donnée au Sénat est une bonne idée car elle
permettrait de démarrer la procédure législative avant la fin des élections.
Mais pour cela, il faut que le Gouvernement inscrive ces propositions à l'ordre
du jour dès le délai constitutionnel de réflexion écoulé en vertu de l'article
42, soit six semaines à compter du dépôt de la première proposition : le 22
juin.
La volonté de s'en remettre à un projet de loi retarde
d'autant le processus de délibération puisqu'en admettant que le projet soit
aussitôt transmis au Sénat après le Conseil des ministres du 13 juin, le délai
de carence de l'article 42 est le même. On ne peut alors espérer qu'une
délibération parlementaire débute avant le 26 juillet, soit une dizaine de
jours avant les vacances parlementaires, le 4 août. Le risque est donc grand
avec cette volonté du Gouvernement de prendre la main qu'une nouvelle loi sur
le harcèlement ne soit votée qu'à l'automne – en plein embouteillage législatif
dû au démarrage de la procédure budgétaire.
Harcèlement sexuel : l’appropriation d’un pouvoir
Le pouvoir de s’exprimer, d’avoir un avis, d’être
critique …
Face à un tel déferlement de versions d'une même loi
potentielle sur un sujet si délicat et crucial, , nous voulons, en tant qu’universitaires
envisageant le droit au prisme du genre, prendre notre part d'argumentation,
d'analyse et de conviction. Puisque des propositions existent, et en dépit de
la délégation faite aux représentants de la Nation, il n'est pas interdit
d'émettre un avis en amont du vote parlementaire et de proposer à cette
occasion un regard critique sur les options offertes au débat.
L’égalité en matière de genre : un genre de vote
Critère de
choix : la proposition à retenir devrait être celle la plus propice à une
égalité de genre, à la mise en œuvre effective du principe d’égalité.
Si l'on raisonne à partir de l'accomplissement le plus
abouti du principe d'égalité, alors on préfèrera le texte qui propose :
1)
de
ne laisser de côté aucune situation dans laquelle un cas de harcèlement
pourrait intervenir ; c'est-à-dire d’exclure le texte qui – au motif qu'il
faudrait éviter une extension de l'incrimination – exclut a priori des
hypothèses dans lesquelles il pourrait advenir qu'une infraction de harcèlement
sexuel soit établie.
2)
de
ne privilégier aucun sexe, mais de n'en pénaliser aucun non plus, en
adoptant une formulation neutre du point de vue du genre. .
3)
une
formulation qui anticipe la censure du Conseil constitutionnel au vu de sa
jurisprudence – si tant est qu'elle soit prévisible – ; ie le texte qui précise
la définition de l'infraction tout en évitant les écueils 1) et 2).
4)
de
limiter à tout prix la démobilisation des parties requérantes à la suite de
l'arrêt de la procédure et de l'annulation de la qualification par le Parquet
en incitant d'une part à la requalification des faits en violences volontaires,
harcèlement moral dans le cas d'une relation de travail ou tentative
d'agression sexuelle, ou en permettant à la partie requérante de ne pas perdre
le bénéfice des premiers actes et frais réalisés sous l'empire de l'article
222-33 du code pénal annulé.
5)
une
forme de réparation à l'égard des parties lésées qui serait un mécanisme
d'assomption de responsabilité par l'État en raison du préjudice causé par la
suspension brutale de la procédure, dans l'hypothèse où l'état d'avancement de
la procédure était tel qu'il eût déjà impliqué des frais importants et/ou
qu'une future instance eût reconnu une culpabilité en vertu de l'incrimination
à venir. Cette dernière disposition attendue dans la proposition de loi tend à
accréditer l'idée que le Conseil constitutionnel participe au fonctionnement du
service de la justice et qu'une décision – souveraine certes – mais sans mesure
d'application adéquate est susceptible d'entraîner un fonctionnement défectueux
du service que l'État pourrait être tenu de réparer du fait qu'il constitue une
faute lourde ou, en l'occurrence, un déni de justice.
Nous vous proposons, après lecture de chacun des textes
proposés ainsi que de l'exposé des motifs qui les accompagne,
d'« élire » celui qui vous paraît le mieux correspondre à ces
objectifs.
On annonce une septième proposition de la part du groupe Verts.
Vous pouvez voter grâce au sondage (colonne de droite) et laisser vos explications de vote dans les commentaires ci-dessous!
bon vote!
Edit du 13 juin: le projet de loi a été rendu public aujourd'hui: il est accessible ici
- PS 1: http://www.senat.fr/leg/ppl11-536.html (11 mai 2012)
- PS 2: http://www.senat.fr/leg/ppl11-539.html (12 mai 2012)
- PS 3: http://www.senat.fr/leg/ppl11-540.html (16 mai 2012)
- Union centriste et républicaine, le 24 mai : http://www.senat.fr/leg/ppl11-556.html ;
- Communistes Républicains et Citoyens, le 25 mai : http://www.senat.fr/leg/ppl11-558.html ;
- Union pour un Mouvement Populaire, le 29 mai : http://www.senat.fr/leg/ppl11-565.html .
On annonce une septième proposition de la part du groupe Verts.
Vous pouvez voter grâce au sondage (colonne de droite) et laisser vos explications de vote dans les commentaires ci-dessous!
bon vote!
Edit du 13 juin: le projet de loi a été rendu public aujourd'hui: il est accessible ici
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