lundi 11 juin 2012

Harcèlement sexuel : mesures d'urgence et réappropriation d'un pouvoir




Harcèlement sexuel : enjeux de pouvoir



            La réappropriation d’un pouvoir : l’empowerment

La suppression de l'incrimination et la neutralisation de toutes les instances depuis la décision controversée du 4 mai 2012 du Conseil constitutionnel comporte un enjeu central à la perspective de genre : l'empowerment. Terme intraduisible s'il en est, l'empowerment dans une approche de genre porte l'idée selon laquelle l'appropriation du pouvoir par les femmes est un enjeu global central. Les Nations Unies investissent d'ailleurs dans d'importants programmes de développement visant à la promotion de l'égalité et l'empowerment des femmes.

Chez nous, la décision du Conseil constitutionnel constitue une privation de pouvoir au détriment de victimes presqu'exclusivement féminines. L'enjeu que représente une nouvelle loi sur le harcèlement sexuel est donc celui d'une réappropriation d'un pouvoir arraché pourtant essentiel à l'équilibre des relations sociales. C'est un enjeu dit « de société » incontournable.

La mise en concurrence des pouvoirs : le Sénat harcèle le gouvernement…

Les instances politiques s'en sont aperçues. Le nouveau Gouvernement - le premier de l'histoire de France à être paritaire et à placer des femmes à la tête des deux ministères concernés : celui de la Justice et aux droits des femmes - a fait quelques déclarations et annoncé son intention de légiférer au plus vite.
Mais il a été devancé – du moins du côté des publications officielles – par le Parlement et plus particulièrement le Sénat qui est la seule assemblée « en service » jusqu'à l'élection de la nouvelle Assemblée nationale le 17 juin prochain. Cette chambre a mis en circulation pas moins de six propositions de lois visant à combler la béance laissée par la décision du Conseil constitutionnel ; le défi étant de donner une nouvelle définition du harcèlement sexuel qui satisfasse aux exigences de précision du Conseil et aux revendications politiques des groupes d'intérêts impliqués, plus ou moins privilégiés selon les groupes parlementaires à l'origine de ces textes.
Le Gouvernement a déclaré qu'il préparait de son côté un projet de loi dont il prétend qu'il sera plus conforme juridiquement dans la mesure où il subira plus de contrôles juridiques a priori qu'une proposition de loi. On appréciera l'argument du point de vue du régime politique de la Ve République. Mais ce n'est pas l'aspect du problème que nous privilégierons ici.

           

Une course contre la montre

Le choix se décline d'un point de vue procédural d'abord ; l'idée étant de démarrer la procédure le plus tôt possible en raison de délais incompressibles et de voter ce texte rapidement, pour des raisons politiques. La procédure accélérée n'est en effet pas envisageable tant que l'Assemblée nationale n'est pas élue et installée. Car, même élue, l'Assemblée nationale sera loin d'être opérationnelle. Il faut en effet prévoir un retard à l'allumage d'environ un mois en raison des multiples désignations qui suivront les élections (présidence, commissions, etc.), mais aussi des chassés-croisés dus à la candidature de nombreux ministres aux élections législatives. De sorte que le temps que l'Assemblée définitive soit en place avec une majorité favorable au Gouvernement, il pourrait s'écouler un laps de temps important. Ce délai pourrait être celui d'une première lecture riche et argumentée au Sénat. De ce point de vue, la priorité donnée au Sénat est une bonne idée car elle permettrait de démarrer la procédure législative avant la fin des élections. Mais pour cela, il faut que le Gouvernement inscrive ces propositions à l'ordre du jour dès le délai constitutionnel de réflexion écoulé en vertu de l'article 42, soit six semaines à compter du dépôt de la première proposition : le 22 juin.
La volonté de s'en remettre à un projet de loi retarde d'autant le processus de délibération puisqu'en admettant que le projet soit aussitôt transmis au Sénat après le Conseil des ministres du 13 juin, le délai de carence de l'article 42 est le même. On ne peut alors espérer qu'une délibération parlementaire débute avant le 26 juillet, soit une dizaine de jours avant les vacances parlementaires, le 4 août. Le risque est donc grand avec cette volonté du Gouvernement de prendre la main qu'une nouvelle loi sur le harcèlement ne soit votée qu'à l'automne – en plein embouteillage législatif dû au démarrage de la procédure budgétaire.




Harcèlement sexuel : l’appropriation d’un pouvoir


Le pouvoir de s’exprimer, d’avoir un avis, d’être critique …
Face à un tel déferlement de versions d'une même loi potentielle sur un sujet si délicat et crucial, , nous voulons, en tant qu’universitaires envisageant le droit au prisme du genre, prendre notre part d'argumentation, d'analyse et de conviction. Puisque des propositions existent, et en dépit de la délégation faite aux représentants de la Nation, il n'est pas interdit d'émettre un avis en amont du vote parlementaire et de proposer à cette occasion un regard critique sur les options offertes au débat.


L’égalité en matière de genre :  un genre de vote

Critère de choix : la proposition à retenir devrait être celle la plus propice à une égalité de genre, à la mise en œuvre effective du principe d’égalité.
Si l'on raisonne à partir de l'accomplissement le plus abouti du principe d'égalité, alors on préfèrera le texte qui propose :
1)    de ne laisser de côté aucune situation dans laquelle un cas de harcèlement pourrait intervenir ; c'est-à-dire d’exclure le texte qui – au motif qu'il faudrait éviter une extension de l'incrimination – exclut a priori des hypothèses dans lesquelles il pourrait advenir qu'une infraction de harcèlement sexuel soit établie.
2)    de ne privilégier aucun sexe, mais de n'en pénaliser aucun non plus, en adoptant une formulation neutre du point de vue du genre. .
3)    une formulation qui anticipe la censure du Conseil constitutionnel au vu de sa jurisprudence – si tant est qu'elle soit prévisible – ; ie le texte qui précise la définition de l'infraction tout en évitant les écueils 1) et 2).
4)    de limiter à tout prix la démobilisation des parties requérantes à la suite de l'arrêt de la procédure et de l'annulation de la qualification par le Parquet en incitant d'une part à la requalification des faits en violences volontaires, harcèlement moral dans le cas d'une relation de travail ou tentative d'agression sexuelle, ou en permettant à la partie requérante de ne pas perdre le bénéfice des premiers actes et frais réalisés sous l'empire de l'article 222-33 du code pénal annulé.
5)    une forme de réparation à l'égard des parties lésées qui serait un mécanisme d'assomption de responsabilité par l'État en raison du préjudice causé par la suspension brutale de la procédure, dans l'hypothèse où l'état d'avancement de la procédure était tel qu'il eût déjà impliqué des frais importants et/ou qu'une future instance eût reconnu une culpabilité en vertu de l'incrimination à venir. Cette dernière disposition attendue dans la proposition de loi tend à accréditer l'idée que le Conseil constitutionnel participe au fonctionnement du service de la justice et qu'une décision – souveraine certes – mais sans mesure d'application adéquate est susceptible d'entraîner un fonctionnement défectueux du service que l'État pourrait être tenu de réparer du fait qu'il constitue une faute lourde ou, en l'occurrence, un déni de justice.

Nous vous proposons, après lecture de chacun des textes proposés ainsi que de l'exposé des motifs qui les accompagne, d'« élire » celui qui vous paraît le mieux correspondre à ces objectifs.



On annonce une septième proposition de la part du groupe Verts.

Vous pouvez voter grâce au sondage (colonne de droite) et laisser vos explications de vote dans les commentaires ci-dessous!

bon vote! 

Edit du 13 juin: le projet de loi a été rendu public aujourd'hui: il est accessible ici 












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